MAURICE MIMOUN




MAURICE MIMOUN
LA CHIRURGIE ESTHÉTIQUE EST UN SOIN
Le Figaro
Propos receuilli par Aline Richard ZivohLava
Sauver la vie d’un grand brûlé, reconstituer un sein après un cancer, refaire un nez ou pratiquer un lifting… tout acte chirurgical est légitime s’il permet au patient de renouer avec lui-même, affirme avec force le spécialiste de chirurgie plastique. À la condition de l’écoute et de l’éthique.
Propos recueillis par Aline Richard Zivohlava
Maurice Mimoun est un travailleur manuel, et il en est fier. Le chef du service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique du centre des brûlés de l’hôpital Trousseau, mondialement connu pour ses audacieuses greffes de peau, observe avec ironie comment œuvrer de ses mains est peu considéré dans notre société, à moins qu’on ne soit pianiste… ou chirurgien. Mais, en chirurgie esthétique, un geste, fût-il le plus expert, ne vaut rien s’il n’est pas la conséquence d’un échange, en rapport étroit avec son patient : l’écoute et le professionnalisme doivent primer – pas les jugements de valeur. Pour Maurice Mimoun, toutes les pathologies de l’image du corps sont sources de souffrances, y compris celles considérées comme « futiles ». Pour Le Figaro Santé, le praticien évoque son métier, ses défis – et son héritage familial, central dans sa vocation de chirurgien. Entretien.
Comment êtes-vous devenu un soignant, puis un chirurgien ?
On est toujours le réceptacle de multiples influences, mais je dirai que j’ai toujours été curieux par la nature, et désireux de savoir comment tout cela fonctionne. Comprendre comment un lézard est capable de régénération cutanée – clin d’œil à mon métier –, c’est incroyablement intéressant ! J’ai une admiration et un respect immenses pour le vivant quel qu’il soit et, par exemple, je ne supporte pas les gens qui écrasent un insecte sans y penser. Ils pulvérisent un chef-d’œuvre ! Je dois cet intérêt à mes parents : ils m’ont appris à aimer et à lire la nature, à rester en connexion avec les éléments.
Cette faculté se perd, je le déplore, et c’est dommage parce qu’elle permet aussi de mieux comprendre les humains, les ressentis d’une personne, sans qu’un mot soit échangé : c’est extrêmement important en médecine.
Une autre influence forte est liée au fait que mon père était un inventeur, porteur d’une certaine vision du monde.
J’ai pu apprendre à réfléchir à un problème, essayer de le résoudre y compris en me trompant… Cela apporte de la confiance en soi et de l’esprit de décision. Et puis, bien sûr, j’ai pu manipuler tous les outils possibles dans le grand atelier de mon père où j’avais l’autorisation d’aller à l’âge de 9, 10 ans. J’ai aimé me servir de mes mains, et je peux affirmer qu’il n’y a pas de travail manuel qui ne soit pas intelligent. Ma vocation est née de tout cela : j’ai voulu d’emblée devenir chirurgien, pas médecin.
Par quelles étapes êtes-vous passé ?
Je n’étais pas mauvais à l’école, mais pas non plus extraordinaire. Sans vraiment en avoir conscience, j’étais un peu à côté de la norme, une sorte de gentil rebelle dans un lycée – Jacques-Decour – où je ne brillais pas parmi les plus élevés… Mais quand je suis arrivé en médecine, dans ce qui me plaisait vraiment, je me suis mis à travailler comme un fou. Il faut se rendre compte de la difficulté de marathon, où l’on doit sacrifier beaucoup de choses à une période de la vie en théorie très épanouie. J’ai été reçu à l’internat parmi les premiers. Et j’ai forcément choisi la chirurgie,mais sans savoir laquelle, ni où. Avec un stylo, j’ai tapé au hasard sur une liste, et c’est tombé sur le service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique du Pr Serge Baux à l’hôpital Rothschild, responsable du centre des brûlés de l’hôpital Saint-Antoine. Ce fut une révélation. J’ai tout de suite aimé la brûlure, pas très populaire parmi les soignants, et j’ai surtout aimé le patron. Serge Baux avait su s’entourer de personnes un peu en dehors des normes pour créer une équipe avec des compétences très particulières. Entre lui et moi, l’affection et la confiance étaient réciproques. Par la suite, il m’a proposé de revenir dans son service comme chef de clinique, puis de devenir professeur. Là, il fallait à la fois accomplir un important travail scientifique, publier, et aussi rencontrer les autres grands patrons, le clergé, etc.
J’ai finalement été nommé chef de service à 38 ans, un très jeune âge. Cela m’a aidé à acquérir une bonne réputation de chirurgien : quand j’étais chef de clinique, l’une de mes opérations a fait le tour du monde ; j’avais un patient à la jambe broyée, et pour préserver son pied en attendant de l’opérer, je l’avais branché sur sa main. En faisant cela, j’ai été un inventeur, comme mon père !
Vous évoquez les brûlures, une spécialité médicale peu recherchée, que vous avez pourtant inventée et fait progresser…
Soigner un brûlé, c’est très difficile. Il faut être très présent auprès du malade, et les résultats sont aléatoires. Peu de soignants veulent s’y impliquer, mais pour moi, c’est une passion. J’ai travaillé au centre des brûlés de Saint-Antoine, et j’ai eu la chance d’être approché par le directeur de l’Assistance publique pour créer, à l’hôpital Saint-Louis, un centre régional de référence ultramoderne dans ce domaine, qui a été inauguré en 2012. J’ai pu y développer des concepts novateurs comme le « presque tout dans la chambre » : un brûlé est un patient très fragile qu’il est dangereux de déplacer.
Aussi, la chambre est à la fois une salle de réanimation, une chambre de malade et un bloc opératoire. Saint-Louis en a une dizaine, le personnel s’investit fortement et nous y avons sauvé des vies. Je continue aujourd’hui à traiter les brûlés, celles et ceux admis à l’hôpital Trousseau. En parallèle, je suis bénévolement actif pour l’association Children Action qui vient en aide aux enfants. Nous avons mis en place un programme de soin avec des professionnels de haut niveau : l’humanitaire se doit de faire preuve d’excellence.
À Saint-Louis, vous avez accolé au centre des brûlés un service de chirurgie plastique et esthétique. Quelle était votre idée ?
La cohérence. Après avoir traité une brûlure par la greffe et la chirurgie, il faut prendre en charge les séquelles, et passer au volet réparateur. Le service peut aussi proposer de la chirurgie esthétique : la reconstruction à des personnes relevant d’un cancer du sein, par exemple, et également réaliser des opérations esthétiques. Je suis un chirurgien polyvalent capable de traiter des blessures très difficiles comme les escarres jusqu’à réaliser un lifting. Pour moi, c’est une seule réalité : un spécialiste des pathologies de l’image du corps, pour tous ceux qui en souffrent. mais sans savoir laquelle, ni où. Avec un stylo, j’ai tapé au hasard sur une liste, et c’est tombé sur le service de chirurgie plastique, reconstructrice et esthétique du Pr Serge Baux à l’hôpital Rothschild, responsable du centre des brûlés de l’hôpital Saint-Antoine. Ce fut une révélation. J’ai tout de suite aimé la brûlure, pas très populaire parmi les soignants, et j’ai surtout aimé le patron. Serge Baux avait su s’entourer de personnes un peu en dehors des normes pour créer une équipe avec des compétences très particulières. Entre lui et moi, l’affection et la confiance étaient réciproques. Par la suite, il m’a proposé de revenir dans son service comme chef de clinique, puis de devenir professeur. Là, il fallait à la fois accomplir un important travail scientifique, publier, et aussi rencontrer les autres grands patrons, le clergé, etc.
J’ai finalement été nommé chef de service à 38 ans, un très jeune âge. Cela m’a aidé à acquérir une bonne réputation de chirurgien : quand j’étais chef de clinique, l’une de mes opérations a fait le tour du monde ; j’avais un patient à la jambe broyée, et pour préserver son pied en attendant de l’opérer, je l’avais branché sur sa main. En faisant cela, j’ai été un inventeur, comme mon père !
Vous évoquez les brûlures, une spécialité médicale peu recherchée, que vous avez pourtant inventée et fait progresser…
Soigner un brûlé, c’est très difficile. Il faut être très présent auprès du malade, et les résultats sont aléatoires. Peu de soignants veulent s’y impliquer, mais pour moi, c’est une passion. J’ai travaillé au centre des brûlés de Saint-Antoine, et j’ai eu la chance d’être approché par le directeur de l’Assistance publique pour créer, à l’hôpital Saint-Louis, un centre régional de référence ultramoderne dans ce domaine, qui a été inauguré en 2012. J’ai pu y développer des concepts novateurs comme le « presque tout dans la chambre » : un brûlé est un patient très fragile qu’il est dangereux de déplacer.
Aussi, la chambre est à la fois une salle de réanimation, une chambre de malade et un bloc opératoire. Saint-Louis en a une dizaine, le personnel s’investit fortement et nous y avons sauvé des vies. Je continue aujourd’hui à traiter les brûlés, celles et ceux admis à l’hôpital Trousseau. En parallèle, je suis bénévolement actif pour l’association Children Action qui vient en aide aux enfants. Nous avons mis en place un programme de soin avec des professionnels de haut niveau : l’humanitaire se doit de faire preuve d’excellence.
À Saint-Louis, vous avez accolé au centre des brûlés un service de chirurgie plastique et esthétique. Quelle était votre idée ?
La cohérence. Après avoir traité une brûlure par la greffe et la chirurgie, il faut prendre en charge les séquelles, et passer au volet réparateur. Le service peut aussi proposer de la chirurgie esthétique : la reconstruction à des personnes relevant d’un cancer du sein, par exemple, et également réaliser des opérations esthétiques. Je suis un chirurgien polyvalent capable de traiter des blessures très difficiles comme les escarres jusqu’à réaliser un lifting. Pour moi, c’est une seule réalité : un spécialiste des pathologies de l’image du corps, pour tous ceux qui en souffrent. Quels sont vos outils ?
Ceux de la microchirurgie. On doit pouvoir reconstruire sans détruire à partir des tissus disponibles sur le corps, qu’il faut préserver.
À partir d’un morceau de peau ou de muscle prélevé dans un endroit du corps, on répare des nerfs, on refait un sein, on réimplante des doigts et des jambes. Je me souviens d’une jeune patiente mutilée aux jambes avec les jambes coupées, elle s’était jetée sous le métro dans un moment de désespoir. Avec mon chef kiné, j’ai pris la décision de réimplanter en revascularisant ses jambes de 10 centimètres. Il y a eu des péripéties, on a dû travailler pour égaliser les deux membres. Ça a été très dur, j’allais la voir tous les soirs, et je ne l’ai jamais culpabilisée. Elle a tenu, et aujourd’hui, elle remarche. J’ai participé à son anniversaire des 40 ans, et nous avons dansé un rock ! Pour elle comme pour beaucoup de mes patients, l’acte chirurgical est un tournant de vie.
Y compris pour des opérations moins dramatiques. Comment refaire un nez par exemple ?
Je suis quand on qualifie de « légère » la chirurgie esthétique. Freud disait que notre corps est notre avenir. Nous vivons notre vie dans ce corps qui est le nôtre, et nous aurions une autre destinée s’il était différent. L’esthétique, c’est très important pour chacun d’entre nous, quoi que l’on puisse en dire et en entendre… Quant au nez, il est relié à l’identité, et à la filiation. De nombre de fois où un patient m’a expliqué qu’elle avait fait une tentative de suicide à 16 ans, et que son père n’était pas venu la voir. Six mois plus tard, il lui a téléphoné pour lui dire qu’il avait désapprouvé son nez… Elle m’a dit : « Docteur, à 22 ans, je viens de changer de nom, et je change de nez. »
Comment se passe une consultation de chirurgie esthétique ?
Nous sommes là pour écouter une personne en allant au-delà de sa demande : ce n’est pas un nez, une fesse, un ventre qui vient nous voir, c’est un individu dans toute sa complexité. Il faut comprendre de quoi il s’agit, et d’abord repérer ce que j’appelle le corps-écran : quand on souffre, et que l’on ne sait pas pourquoi, il est rassurant de se dire que c’est son nez ou son ventre qui ne va pas. Le mal-être s’ancre dans une seule partie du corps. Mais dans ce cas, l’opération n’aidera en rien une personne qui continuera à souffrir. Une fois ce problème écarté, nous devons viser la satisfaction de nos patients sans juger, sans imposer notre goût, mais en les ramenant à eux-mêmes et ce qu’ils attendent.
À ce propos, je déplore l’évolution de la chirurgie esthétique aujourd’hui et son reflet biaisé dans les réseaux sociaux. Certains affichent leur catalogue avec images « avant-après » très lissées. Il suffirait de choisir… C’est un mensonge total puisque chaque organisme réagit de façon différente. Ce sont des pratiques néfastes où l’on oublie l’essentiel : la chirurgie esthétique est un soin.
Elle ne peut être que du sur-mesure ?
Elle mène certes à des résultats esthétiques, mais selon le type de peau, la morphologie des os, l’âge du patient, ses pathologies… Un bon chirurgien doit avoir une technique parfaite – pas seulement une bonne dextérité – et surtout une connaissance intime de la peau. Vous devez savoir où qu’elle peut flancher et ce qu’elle ne donnera pas. Il faut travailler avec la peau, jamais contre elle. Par exemple, je mets une prothèse, je dois creuser un sein ou une chirurgie du visage, cela se joue au millimètre. Et puis, il y a aussi des choix éthiques. Ce sont des compromis, car chaque corps est un monde. Et je ne comprends pas les « Il faut effacer, lisser, retirer, tout rajeunir… » : faut pouvoir proposer, mais respecter la décision du patient.
La France vieillit, et la chirurgie anti-âge va-t-elle bon train. Quels sont ses résultats et ses limites ?
Précisons tout de suite que son objectif est d’éviter de devenir vieux, pas de le nier. On peut déplorer que notre société fasse pression en ce sens, mais c’est comme ça. On a beau faire du sport, avoir une bonne hygiène de vie, il y a un moment de bascule, qui peut arriver assez tôt, vers 60 ans, tandis que d’autres personnes vieilliront plus lentement. Les patients ont des critères très variables, il faut se mettre à leur place quand ils se plaignent de ce relâchement des tissus qui les chagrine. On peut aujourd’hui obtenir de très bons résultats en chirurgie du visage, un effet très naturel, qui fait que la personne ne retourne même plus. Rien à voir avec ces liftings du passé qui ont abîmé les traits de tant de célébrités… Personnellement, j’aime beaucoup cette intervention, on est dans la subtilité, on mobilise son expérience et son savoir-faire. Et je réfute tout critère moraliste sur l’âge : où l’on n’aurait plus le droit de se faire opérer !
Si les conditions sont là, pourquoi dirai-je non à des personnes de 80 ans qui ont envie de leur vie devant elles ? La décision leur appartient.
Le Figaro
